Cette série d’articles a vocation à mettre à l’honneur des profils atypiques dans le monde du travail, et à partager des réflexions sur la nécessité et l’importance d’injecter une bonne dose d’inclusion dans le monde professionnel !
Ce n’est un secret pour personne, George VI était bègue, et pourtant, cela ne l’a pas empêché de régner sur le Royaume-Uni durant 16 ans. Bien que le roi ne soit plus là pour apporter son témoignage, on peut supposer que sa réussite est due – au-delà d’une forte dose de dépassement de soi et de courage – à la qualité de ceux qui l’ont accompagné tout au long de son règne, et qui lui ont fourni un environnement de confiance, propice au développement de son potentiel.
Car, si le bégaiement est une forme de handicap, il n’empêche en rien de mener une vie professionnelle épanouie. En revanche, là où le bât blesse – au sein de nos sociétés – c’est souvent côté employeur.
Bon nombre d’organisations n’envisagent pas de s’adapter aux profils bègues ou se sont convaincues d’en être incapables. Cette posture peut générer un certain nombre de frustrations et d’incompréhensions de part et d’autre, et elle peut se révéler néfaste, voire dévastatrice pour ces profils atypiques, qui tentent de mener une « vie normale » et de s’intégrer dans le monde du travail.
Et si on changeait de regard sur ces profils, qu’on se donnait les moyens d’avoir une culture d’entreprise réellement inclusive et que l’on participait activement à la révélation de leur potentiel ?
L’urgence d’un regard juste sur la différence
Si les causes du bégaiement ne sont pas strictement établies et qu’il reste des zones d’ombre, il est néanmoins désormais possible de dire que, dans de nombreux cas, le bégaiement est la conséquence d’un trouble psychique important. On démontre également que l’anxiété sociale est un facteur aggravant des troubles du bégaiement.
Or, s’il est bien une forme d’anxiété sociale que l’on peut mettre en avant ici, c’est celle provoquée par le regard des « autres ». Collaborateurs, managers et autres responsables RH peuvent avoir une tendance, souvent inconsciente et dénuée d’intention malveillante, à faire sentir aux profils bègues une certaine gêne, un certain étonnement, un certain malaise.
Cela accroît sensiblement ce sentiment de différence et creuse l’écart entre ces profils atypiques et les « autres ».
De plus, bien qu’a priori les railleries de cour d’école appartiennent plutôt au passé, les pauses café et autres moments de socialisation en entreprise peuvent aussi être le théâtre de moqueries en tout genre, et il est hélas commun, pour les profils bègues, de devoir composer avec.
A l’inverse, poser un regard juste, c’est permettre aux profils bègues de gagner un peu en tranquillité émotionnelle, et ainsi de mieux appréhender les relations sociales dans le cadre professionnel.
Poser un regard juste, c’est aussi éviter de tomber dans le trop-plein de bienveillance, qui, souvent malgré nous, peut virer à la condescendance intempestive.
L’entreprise a un réel rôle à jouer pour donner le ton du regard à adopter, et bannir les mauvaises habitudes de certains, qui consistent à observer d’un mauvais oeil la différence. L’employeur, les managers, les responsables RH doivent montrer l’exemple en termes de posture et d’approche, et ainsi estomper les regards interrogateurs ou mal placés d’un côté, et le sentiment d’une différence préjudiciable de l’autre.
Le courage de se donner les moyens
Le courage des profils bègues n’est plus à discuter. Quoi de plus courageux et téméraire que de surpasser sa difficulté d’élocution et de plonger dans le grand bain du « monde du travail » ? Monde extrêmement codifié, monde souvent hostile, au sein duquel il faut sans cesse montrer patte blanche.
Lors d’un entretien d’embauche par exemple, le dépassement de soi réalisé par un candidat bègue n’est-il pas remarquable ? L’effort – et toujours le courage – de ne pas laisser son handicap atténuer sa motivation, sa détermination et son audace. L’effort de se retrouver dans une situation particulièrement propice au stress, où perdre ses moyens est monnaie courante.
Les profils bègues ont toujours le courage de se donner les moyens. En revanche, ce n’est pas toujours le cas des organisations. Car ajouter le terme « inclusion » à sa culture d’entreprise ne suffit pas. Il faut se donner les moyens d’y arriver.
Renverser (un peu) la tendance permettrait de répartir l’effort du courage entre le profil atypique et l’employeur. Il faut se donner les moyens de repenser certaines étapes clés, comme les entretiens d’embauche ou les semaines d’onboarding, afin que les profils bègues puissent être positionnés sur un pied d’égalité.
Il faut avoir le courage de dépoussiérer certains process bien établis, et de les décliner, pour permettre aux profils bègues de se sentir aussi bien accueillis et intégrés que l’ensemble des collaborateurs. Il faut donc avoir le courage de s’investir autant pour les profils bègues, que pour l’ensemble les « autres ».
L’art de révéler le potentiel
Les profils bègues sont hyperémotifs, et peuvent avoir une tendance à se réfugier dans leur bulle, s’ils ne se sentent pas en confiance. Dans le cadre professionnel, cela a notamment pour conséquence de brimer le potentiel de l’individu, et de le faire se sentir « incapable ».
Le développement de la confiance en soi est un facteur clé dans la réussite professionnelle des profils bègues, et cela passe notamment par un poste adapté.
Des postes pour lesquels “échéances courtes”, « stress à répétition » et « rythmes soutenus » sont les maître-mots, sont à éliminer de toute urgence. Cela ne ferait que renforcer leur terrain anxiogène et positionner ces profils atypiques en situation de difficulté.
En revanche, imaginer des missions et un poste qui permettront à ces profils de se développer, de s’épanouir, c’est créer un cercle vertueux, au sein duquel ils sont pilotes de leur poste et de leurs missions. Cela aura pour effet d’accroître leur confiance en soi, leur légitimité à occuper tel ou tel poste, et l’envie d’aller plus loin et de se dépasser sans que l’hypersensibilité soit un frein.
Il s’agit de révéler le potentiel de ces profils, et donner leur donner les clés de leur réussite. Le rôle d’une organisation est primordial pour relever ce défi, et un management adapté est plus que nécessaire.
Faire confiance, écouter, encourager, responsabiliser et savoir s’adapter sont autant de réflexes à adopter lorsque l’on souhaite réussir à manager ses équipes, tout profil confondu. Ces qualités managériales et humaines – qui sont en réalité des prérequis – doivent être la clé de voûte d’un « management inclusif », et doivent être appliquées par tous les acteurs qui participent à faire grandir et à révéler tous les potentiels, et à mettre l’humain au coeur du monde du travail.
Camille Studer
Copywriting & Stratégie Éditoriale